Dans mon jardin
J'ai cueilli le bonheur.
Ses premières fleurs m'ont donné
Leur amour, leur tendresse, leur gaieté.
L'une, un dos courbé, une peau ridée,
Bêchant, suant, jurant comme charretier.
L'autre, un acrobate fou,
Jonglant sur des échelles accrochées au ciel,
Pour remplir son panier de vers et de rimes.
Ici, des femmes en noir, aussi rondes et mûres
Que les fruits qu'elles découpent au-dessus d'un tonneau.
Elles parlent une langue tantôt dure
Comme la terre sous un soleil d'été,
Tantôt douce comme l'herbe
Dans laquelle on se couche.
Là, une soirée sous les branches d'un pommier,
Mit Bier, Brot un Wurst,
À faire et à défaire le monde,
D'où l'on entend au loin des éclats de voix,
Des éclats de rire, des éclats de verre.
Dans mon jardin,
J'ai cueilli le bonheur.
Un bouquet bigarré m'a appris à aimer
Les odeurs de la terre, les battements de la pluie,
Les morsures du vent, les brûlures du soleil,
La naissance d'un bourgeon, la magie d'un flocon.
Il m'a fait goûter
Le parfum subtil de la fraise sauvage,
La pulpe juteuse de la « cerise du cœur »,
La chaire croquante de la pomme encore verte.
Il m'a fait découvrir
Le plaisir du corps qui s'enracinerait pour mieux communier,
Qui s'envolerait pour mieux admirer le splendide tableau.
Dans mon jardin
J'ai cueilli le bonheur.
J'ai trouvé une fleur pour grandir avec moi.
Nous avons partagé
Les tout premiers pas, les Babala,
Les Steinala, les Osterhasala,
Les heures de rêverie.
Enfin l'envie de dépasser la grille
Pour découvrir le monde, pour essayer la vie.
Et le besoin de revenir,
Comme reviennent les saisons,
Dans mon jardin.
Dans mon jardin,
J'ai cueilli le bonheur
Sylvie Troxler .
Texte écrit l'automne 1995